ELECTRIC TROUBLES #1368 | Astéréotypie | 28.09.2022
28 septembre 2022
« Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme… La vie réelle est agaçante ! ». Tels sont les
mots de Claire Ottaway, la nouvelle recrue d’Astéréotypie. La vie réelle est agaçante quand on s’y
sent à l’étroit et que le mur de l’entendement est trop proche. Il ne reste que le choix de s’en
plaindre ou de prendre la tangente. Alors, si on ne sait pas quel chemin emprunter pour quitter
l’autoroute de la normalité, on peut suivre les guides, eux savent bien que la réalité c’est la façon
de parler et ils en font du papier mâché.
Loin de la croisière détente, les doigts de pied en éventail, Astéréotypie propose une expédition
à haute intensité affective. Le véhicule, chez eux, c’est le texte. Qu’on parte en vélo à Saint-Malo
ou qu’on choisisse le kayak à Saint-Briac, on prendra en pleine gueule les effets d’une langue qui
dérive et nous embarque dans des territoires proprement inexplorés jusque-là. Pas besoin d’aller
trop loin, le collectif Astéréotypie révolutionne le concept de voyage en l’abordant par le langage.
« Aucun mec… » est le troisième disque du collectif, après un premier enregistrement
auto-produit en 2012, puis « L’énergie positive des dieux » en 2018, sorti chez Air Rytmo, le label
créé par les membres du groupe Moriarty. Pour ce nouvel opus, le label s’associe à la Collection
La Belle Brute, qui défend avec acharnement les Pratiques Brutes de la Musique, pour faire
résonner au mieux cette oeuvre qui tord les perceptions communes.
Ils sont neuf : Claire Ottaway, Yohann Goetzmann, Stanislas Carmont et Aurelien Lobjoit écrivent
et scandent leurs textes. Félix Giubergia, l’homme de l’ombre, en signe trois. Christophe L’Huillier
tient la guitare, Arthur B. Gillette et Eric Tafani, tous deux membres du groupe Moriarty,
s’occupent respectivement des textures sonores à la guitare et de la batterie, tandis que Benoît
Guivarch joue des claviers et des synthés modulaires. Un groupe au son nerveux comme un corps
sur scène, entre joie et tension, besoin de décharges et envie de partage. Un groupe au format
bien connu, avec sa section rythmique tirée au cordeau, les arpèges analos qui brouillent les
profondeurs et la guitare qui se faufile sauvagement dans les trous pour se faire inattrapable mais
dont la particularité certaine est de se mettre au service de ces voix et ces textes qui renversent
les codes de l’écriture poétique.
Si le groupe s’est constitué, il y a une dizaine d’années à l’IME (Institut Médico-Educatif) de
Bourg-la-Reine autour de Christophe L’Huillier, alors éducateur, c’est qu’il avait découvert l’intérêt
de mettre en musique et en bouche les textes produits en atelier d’écriture. Ces
auteurs.rices-interprètes partagent donc, effectivement, une dimension de leur existence qu’on
appelle l’autisme. Un prisme auquel ils ont bien souvent été assignés dans leur parcours, mais qui
devient vite accessoire dans le collectif. Christophe L’Huillier tient la guitare, Arthur B. Gillette et
Eric Tafani, tous deux membres du groupe Moriarty, s’occupent respectivement des textures
sonores à la guitare et de la batterie, tandis que Benoît Guivarch joue des claviers et des synthés
modulaires. Un groupe au son nerveux comme un corps sur scène, entre joie et tension, besoin
de décharges et envie de partage. Un groupe au format bien connu, avec sa section rythmique
tirée au cordeau, les arpèges analos qui brouillent les profondeurs et la guitare qui se faufile
sauvagement dans les trous pour se faire inattrapable mais dont la particularité certaine est de se
mettre au service de ces voix et ces textes non-formatés par les recommandations de bonne
pratique d’écriture poétique.
Fort de ces enregistrements et d’une grosse expérience de la scène et de tournées en festivals, le
collectif s’affranchit toujours plus des carcans offerts aux atypiques, que les commentateurs ont
tendance à aimer plaindre. On s’éloigne donc du témoignage et on bifurque à toute vitesse dans
les profondeurs de la matrice et du terrier d’Alice, après avoir gobé la pilule rouge de Morpheus.
À l’écoute d’Astéréotypie, on se jette à corps perdu dans le vaste univers d’une langue vivante à
souhait. On quitte le monde du sens figé, le monde d’une langue-prison comme une solution
prête à penser. Et on prend pleinement conscience de la beauté du mot distorsion.
Astéréotypie est un groupe de Post-Punk d’une efficacité redoutable, et c’est – aussi étrange que
cela puisse paraître – un groupe où le texte reprend toute la force que la chanson mérite. Et ce
texte, ça n’est pas de la simple poésie, c’est une façon de vivre le monde.
Les membres d’Astéréotypie sont des pirates, des hackers du réel qui chopent dans la culture qui
les assomme, les éléments saillants pour s’y repérer dans la tourmente. Ils digèrent et régurgitent
à leur façon ce trop plein d’informations pour en faire une vraie écriture brute. Une vraie poésie
qui défonce le sérieux et s’autorise à n’être qu’authentique. Qu’ils listent des ressemblances ou
cherchent des familles ; soulignent qu’il y a mille manières de dire bonjour sans faire attention à
l’autre ; plagient comme jamais les discours-type d’un marabout ou même s’inspirent des sites de
santé en ligne, ils trouveront toujours une manière unique et inédite de se dire. On y entend
Aurélien expliquer que « Les vaches bretonnes sont bilingues », et Claire dire que « la bonté est
pour moi le prix de l’espace-temps ». Yohann nous rappelle que « l’obésité accueille chaque
année neuf mille patients (…) un bébé gros ça pèse 24 mois », tandis que Stan, qui se rêve pacha,
nous annonce son mariage prochain avec 20€, parce que « avoir une relation amoureuse avec un
billet de banque, c’est mieux que d’avoir une relation amoureuse avec une vraie fille…».
Qu’ils parlent du monde tel qu’ils le voient ou qu’ils le voient tel qu’ils en parlent, les textes
d’Astéréotypie et les voix qui les portent sont des révélateurs hypersurréalistes de leur biotope de
supermarchés, de télé, de chiffres, de biens de consommations, de véhicules, de personnages
historiques et d’injonctions diverses. Miroir distordu donc, tendu vers nous, aussi flippant dans le
fond que fort dans la forme. « Mon chat a 44 ans », dite par Stanislas mais écrite par
Félix Giubergia avec la métonymie du cadavre exquis ou du coq à l’âne par petit écho, en est un
exemple incroyable.
Croiser le collectif Astéréotypie, ça secoue. Ça fait bouger les jambes quand ça s’élance, ça
désarticule les bras à chaque scansion ou rupture de tempo, ça fait hurler en choeur à s’en froisser
les cordes vocales et ça fracasse les a priori pour peu qu’il en reste.
Aucun groupe ne ressemble à Astéréotypie dans la Drôme, ni sûrement même dans le monde…
la vie réelle est parfois réjouissante !